Les banques françaises poursuivent sans bruit leurs délocalisations
LE MONDE ECONOMIE | 08.05.2017 à 09h57 | Par Véronique Chocron et Marie de Vergès
Whirlpool restera un marqueur fort de la campagne électorale française. Un emblème des délocalisations qui continuent d’affecter certains pans de l’industrie française. Pourtant, nos vieilles cathédrales industrielles ne sont pas les seules touchées. Dans les services aussi, souvent sous le radar médiatique, des emplois sont transférés à l’étranger, vers des pays à moindres coûts salariaux.
BNP Paribas est ainsi sur le point de délocaliser au Maroc les services informatiques de ses activités africaines. Ce métier emploie aujourd’hui 150 personnes en Ile-de-France, qui « seront réaffectées, accompagnées dans un processus de mobilité au sein du groupe », indique une source interne. Ce projet, qui fait actuellement l’objet d’une consultation auprès des organisations syndicales, se traduira par des embauches sur le sol marocain, où BNP Paribas est déjà présente à travers sa banque de détail BMCI. Pour le groupe, il s’agit de réduire ses coûts, « et il y a une logique à ce que cette mission soit gérée localement en Afrique », poursuit cette source.
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L’initiative n’est pas isolée dans le secteur. Natixis, la banque de financement du groupe Banque populaire Caisse d’épargne (BPCE), délocalise actuellement au Portugal une grande partie de son informatique. Son projet consiste à internaliser au sein du groupe des activités jusqu’alors confiées à des prestataires externes en France, tout en les délocalisant (pour l’essentiel) dans une nouvelle structure basée à Porto. Six cents postes seront ainsi progressivement transférés au Portugal d’ici à 2019, avec à la clé, selon les syndicats, une économie de 27 millions d’euros par an. En septembre 2016, l’intersyndicale a dénoncé en vain « l’absence de patriotisme économique » d’une « banque mutualiste à fort ancrage local ».
Réduction des coûts
Le chantier, lancé en novembre 2016, continue de créer des points de tension au sein de l’entreprise. « On demande à des collaborateurs de passer la compétence à des collègues portugais pour supprimer leurs emplois, c’est évidemment très mal vécu, résume Nicolas Getti, le secrétaire du comité central d’entreprise de Natixis. Et comme la direction semble avoir du mal à recruter à Porto des salariés parlant français, l’anglais est en train de devenir la langue de travail officielle au sein de la direction des systèmes d’information. Cela crée des difficultés pour certains, avec derrière des risques opérationnels. »
C’est au début des années 2000 que les grandes banques françaises tournées vers l’international se sont lancées dans une politique de délocalisation pour réduire leurs coûts. BNP Paribas emploie aujourd’hui plusieurs centaines de collaborateurs en Inde, affectés aux activités informatiques ou de back-office du groupe dans le monde, et délocalise régulièrement de nouveaux métiers au Portugal.
Quant à la Société générale, fin 2016, elle recensait 6 000 salariés travaillant hors de France dans des « centres de services partagés », pour l’ensemble des implantations du groupe à travers le monde. Un de ces centres, basé à Bucarest, emploie 800 personnes pour des services allant des achats à la comptabilité en passant par les ressources humaines. La banque compte aussi 5 000 salariés en Inde, où elle a créé un centre de développement informatique.
Le secteur financier a géré ces mouvements sans mettre le feu aux poudres, les grandes banques parvenant encore à absorber les suppressions de postes en France grâce aux mobilités internes et aux départs à la retraite.
Accélération du phénomène
Par ailleurs il n’est pas, loin s’en faut, la seule activité de service à pratiquer le dumping social. Le 2 mai, la CGT dénonçait ainsi la délocalisation des activités commerciales d’Engie. Dans un premier temps, l’énergéticien les avait largement déléguées à des prestataires extérieurs. Mais ces services clientèles, jusqu’à présent assurés depuis la France, commencent à l’être depuis le Maroc, le Portugal ou l’Île Maurice, où les salaires sont moins élevés.
« Dans la banque, l’assurance et toutes les fonctions support des entreprises, les délocalisations sont récentes par rapport à l’industrie, note El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, rappelant que celles-ci ont commencé avec le développement des technologies de l’information et de la communication. « Mais ce phénomène s’accélère nettement », poursuit l’expert. Une tendance a contrario de celle observée dans l’industrie lourde : si elles n’ont pas disparu, les délocalisations d’usines ralentissent. Et des mouvements de relocalisation – sur une base régionale – commencent même à s’opérer pour réduire les coûts de transports et se rapprocher du client.
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Fort de ce constat, M. Mouhoud s’agace que la campagne électorale ait donné lieu à un « débat d’une sacrée médiocrité » : « On réclame du protectionnisme sur l’industrie, mais tout ce qui touche aux activités immatérielles n’intéresse personne », s’étonne-t-il. De fait, ces délocalisations passent plus inaperçues. « Sans doute parce que c’est beaucoup plus fragmenté. Ce sont des morceaux d’activités dans les stratégies des groupes qui sont externalisés », analyse l’expert.
Quelle est l’ampleur du phénomène ? Difficile à dire. Si certains emplois sont détruits du fait des délocalisations, d’autres le sont aussi à cause de l’automatisation des opérations. Reste que les services représentent aujourd’hui 75 % des emplois en France, contre 12 % pour l’industrie manufacturière. Et M. Mouhoud estime à 5 % des emplois la part des services supports aux entreprises les plus aisément délocalisables.
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