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https://www.lequipe.fr/Football/Article ... in/1191748Damien Da Silva (Rennes), parce qu'il vient de loin
Le défenseur et capitaine rennais, passé en six ans de la Ligue 2 à la Ligue des champions, rêve, maintenant, de la sélection portugaise.
Du stade de la Vallée du Cher, à Tours devant officiellement 7 646 spectateurs, à Stamford Bridge mercredi, à Londres, sous les yeux d'une poignée de personnes mais avec la petite musique de la Ligue des champions qui tord le ventre de tous les footeux, Damien Da Silva a vu défiler six drôles d'années. Le 16 mai 2014, il quittait la L2 sur une lourde défaite avec Clermont (3-0), étrillé par un triplé de son adversaire direct, Andy Delort, sans imaginer se délester du sentiment de galère qui l'avait accompagné jusque-là. Du centre de formation des Girondins où il fut recalé au moment de signer son contrat professionnel jusqu'au dépôt de bilan avec Rouen (en 2013), alors en National, en passant par un essai non concluant à Fréjus qui l'avait meurtri. « Quelque part, ce qui est arrivé à Rouen a été sa chance, se remémore son ami Rémy Dugimont, le milieu d'Auxerre. Car s'il était resté sous contrat, il aurait continué en National. » Libéré, le défenseur central s'était engagé avec Clermont, en Ligue 2, une petite saison, afin de montrer qu'à ce niveau-là, il avait encore de la marge : « Déjà en National et en L2, il était au-dessus du lot, assure son ancien coéquipier en Normandie et en Auvergne. Mais personne n'imaginait pourtant qu'il deviendrait capitaine d'une équipe qui joue en Ligue des champions. »
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En bref
32 ans
1,84m ; 83kg
Défenseur
Club : Rennes
2021 : en juin prochain, le capitaine rennais sera libre de s'engager où bon lui semble. Sauf s'il trouve un terrain d'entente avec ses dirigeants, qui souhaitent le garder et lui ont proposé une année de plus. Les discussions restent ouvertes mais si elles ne devaient pas aboutir, « DDS » pourrait être tenté par l'étranger, le Portugal surtout.
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Mercredi, ses amis étaient nombreux devant leur télévision pour l'observer face aux Blues (0-3), sans craindre son âge (32 ans), ni son inexpérience à ce niveau d'altitude : « On le chauffe "tu es capitaine, tu joues en C1 !", rit Emmanuel Imorou, un ancien de Clermont et de Caen. Mais il vit tout ça avec recul et tranquillité. Les gens ne les voient que maintenant mais ses qualités existaient avant. Sa force a été de s'adapter à l'étage du dessus. » Ce que Nicolas Seube, autre ancien Malherbiste, résume par : « Quand tu es un bon joueur dans une équipe moyenne, tu deviens un très bon joueur dans une bonne équipe. »
"Lors de sa dernière saison à Caen, il aurait peut-être été appelé en équipe de France s'il avait joué avec le maillot de Lyon
Nicolas Seube
Pas toujours pourtant et, au Haillan donc, l'ancien ramasseur de balles à Chaban-Delmas, couvé dans la maison familiale de Pessac où sa famille portugaise parlait football et FC Porto du matin au soir, n'avait pas vu venir la fin de l'aventure avec les Girondins, à l'adolescence. « À l'époque, on ne regardait que le physique, les capacités physiques, pas sa qualité technique, ni son équilibre ou sa vision de jeu avec et sans ballon », regrette Pierrot Labat, un de ses formateurs. Da Silva ne correspondait pas aux canons habituels du défenseur et, aujourd'hui encore, avec son actuel « petit » mètre quatre-vingt-quatre, il ne paie pas de mine « alors qu'il est dur, rugueux, sourit Dugimont. Quand vous l'avez dans le dos, vous le sentez, il pousse sur les cannes ». Malgré sa qualité de pied, son élégance ne frappe pas non plus quand il s'élance pour casser les lignes, les bras qui s'actionnent mécaniquement, tout à l'énergie. Sa dégaine un peu robotique, la mâchoire serrée, interpelle, autant que sa façon de récupérer ses propres erreurs, un peu à l'arrache. En dépit de « sa mèche de beau gosse qu'il replace après chaque action » selon Nicolas Seube, le défenseur central serait victime d'un délit de faciès, de parcours : « Lors de sa dernière saison à Caen, il aurait peut-être été appelé en équipe de France s'il avait joué avec le maillot de Lyon, estime l'ancien milieu. Quand il arrive à Rennes, je ne suis pas certain que ce soit avec le statut de numéro 1. Aujourd'hui il est largement le numéro 1. »
En débarquant en Bretagne à l'été 2018, pour zéro euro, ce fan de Deco a dû, encore, séduire des supporters rennais qui se pinçaient un peu le nez. « Après Caen, il n'avait pas reçu d'offre qui sportivement lui convenait et cela m'avait étonné car c'est une valeur sûre de la L1, appuie Imorou. Mais il avait 30 ans, jouait à Caen, le maintien. Les clubs ont besoin d'un nom, pour rassurer les supporters, ce qui n'était pas son cas. » Les dirigeants bretons ont tenté le coup et, deux ans après, le pari est réussi, lui rappelant qu'il « vient de loin », le titre de Corneille qu'il chante dans le vestiaire lors des bizutages.
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3
Le nombre de buts qu'il a inscrits cette saison en huit matches de L1, à une unité de son record avec Caen, en 2017-2018. Il n'a pas encore marqué en Coupe d'Europe.
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De très loin même, de Clermont, Châteauroux, Niort et à la fin de sa carrière, il sera difficile de lui reprocher d'avoir privilégié l'exotisme : « Il a toujours charbonné », insiste Imorou. Chez les Chamois où il a débarqué à peine pubère, il avait poussé Jacky Bonnevay, aujourd'hui adjoint de Claude Puel à Saint-Étienne, à le lancer régulièrement : « Il ne faisait pas partie des surdoués sans que cela soit péjoratif mais il était consciencieux, à l'écoute, intelligent. Je pensais qu'il allait devenir un très bon joueur de L2 mais au-dessus, c'était difficile à dire. Il a tiré le meilleur de ses qualités. Il a ce supplément de mental qui plaît tant aux entraîneurs, il s'analyse bien. » Pierrot Labat, au Haillan, avait déjà été séduit par « ses cinq qualités psychologiques que tout joueur doit avoir pour réussir : l'humilité, la volonté, la persévérance, la détermination et le courage. Il en faut pour passer les étapes comme il l'a fait et aller contre les avis des entraîneurs qui vous disent que vous n'y arriverez pas ».
"Ce n'est pas un hasard s'il est devenu capitaine d'une des meilleures équipes françaises
Rémy Vercoutre
Car les apparences sont trompeuses. Au-delà de sa discrétion, de sa petite voix dont suinte un léger cheveu sur la langue et son côté voisin de palier, « DDS » a du caractère. Si « la discrétion n'est pas incompatible avec l'ambition » (Seube), elle lui a « peut-être joué des tours, observe Imorou. Mais il est fiable, cela paie sur le long terme ». L'an passé, Julien Stéphan lui a ainsi offert le brassard de capitaine, une évidence pour Rémy Vercoutre, l'ancien gardien caennais : « Certains joueurs, tu lances la pièce, tu ne sais pas ce que ça va donner. Avec lui, tu sais où tu vas. Je savais que je pouvais aller à la guerre avec lui. On s'est chopés quelques fois car on voulait tous les deux le bien de l'équipe, pas pour nos ego. Je l'engueulais quand je le trouvais mal placé, il m'engueulait quand je faisais des erreurs mais, privilège de l'âge, j'avais raison (rires). Damien est quelqu'un de bien élevé, ce qu'il a à dire, il le dit en face, pas devant les caméras. Son message en est d'autant plus fort auprès du groupe. Ce n'est pas un hasard s'il est devenu capitaine d'une des meilleures équipes françaises. » Suffisant pour accéder à son rêve, ultime, séduire la Seleção, auquel il croyait déjà à Caen, à ses débuts en L1 ? « Damien arrive des bas fonds du National, glisse Dugimont. Si lui n'y croit pas, après tout ce qu'il a vécu... Il est obligé de penser que c'est possible. » En tout cas que ce n'est plus impossible.