. Stade Rennais : à Zagreb, sur les traces de Lovro Majer, ce gamin « né footballeur ».
En seulement six mois, Lovro Majer a conquis le Stade Rennais, où il a débarqué cet été en provenance du Dinamo Zagreb. Le milieu de terrain de 24 ans régale le Roazhon Park avec sa patte gauche soyeuse et son style unique, serre-tête vissé au crâne. Mais qui est-il vraiment, lui l’enfant de Zagreb ? Ouest-France et Prolongation sont partis sur ses traces en Croatie, dans ses anciens clubs et chez sa famille. Une série en trois épisodes.
Lorsque l’on pense à Lovro Majer, on pense patte gauche, technique, vision, serre-tête, swag. On pense à tout ce que l’on aime dans le foot, parce que Lovro Majer est le genre de joueur pour lequel on se déplace au stade, pour lequel on paie des abonnements télé hors de prix, dans l’attente insoutenable de voir le geste juste, celui qui casse une ligne et qui nous hérisse les poils.
Partir sur ses traces à Zagreb s’est rapidement imposé comme une évidence. En quelques mois à Rennes, le milieu de terrain s’est déjà créé une base d’inconditionnels, de ces fans prêts à créer un compte Twitter à sa gloire ou à inventer une nouvelle orientation sexuelle, la « Lovrosexualité ». « Je suis très content d’entendre cette blague !, sourit Božidar Šikić, président du Lokomotiva Zagreb, le club où il est devenu professionnel. Quand il est parti à Rennes et qu’il a choisi le championnat français, beaucoup de gens ont pensé que ça allait être difficile pour lui, parce que le championnat français est très rude. Moi, j’ai toujours eu confiance en lui. Parce qu’il est intelligent. »
Lovro Majer a surtout laissé des souvenirs impérissables partout où il est passé à Zagreb, et pas seulement pour ses qualités de footballeur. C’est peut-être l’élément essentiel à connaître sur lui : il est un jeune homme tout à fait lambda. Celui qui fait aujourd’hui se lever les foules a été élevé pour mener une vie « normale », dans une famille plutôt aisée, soucieuse de lui donner une éducation complète et bienveillante.
Le premier arrêt de notre périple à Zagreb s’est déroulé en plein centre de la capitale croate. C’était début février, sous un soleil quasi printanier, avec des températures à faire pâlir la Côte d’Azur. À quelques pas des rues piétonnes et commerçantes de Zagreb, où sont installés de nombreux restaurants et bars, le rendez-vous avait été pris chez Antonija Malec, la maman de Lovro Majer.
La maison est contemporaine mais classique, rien d’opulent. Elle nous reçoit dans la salle à manger, avec son deuxième fils, en guise de soutien pour la traduction. Installée là, une cigarette à la main, Antonija est captivante. « Pour nous, le foot était un jeu. Je n’avais jamais prévu qu’un jour, Lovro serait à ce niveau. Quand vous avez un enfant de dix, onze, douze ans, c’est fou de penser qu’il sera très, très fort en football. »
Retraitée bancaire, elle a beaucoup donné pour son fils. « Oui, j’ai passé ma vie à m’occuper de Lovro. Le matin, on prenait le petit-déjeuner, puis on allait à l’entraînement, retrace-t-elle. On rentrait pour le déjeuner, puis je l’emmenais à l’école, puis à ses cours particuliers d’anglais. C’était du 24 heures sur 24. J’ai été chanceuse. J’avais du temps, de l’argent et l’envie de m’occuper de lui. » Elle ajoute, avec un brin d’émotion : « Je suis satisfaite de ne pas avoir perdu mon temps et ma vie. Good job (rires) ! En tant que mère, je suis très contente, j’ai accompli mon travail ».
-Majer à sa mère : « Je rejoue au foot si tu arrêtes de fumer »
Par ces mots, elle n’exprime pas une pensée liée au football. Pour Antonija Malec, la fierté vient du fait qu’elle a élevé un fils poli, au parcours scolaire « normal » et dont la vie ne se résume pas qu’à la célébrité naissante et aux chiffres qui s’accumulent sur le compte en banque.
Il n’en reste pas moins que le foot a guidé la vie de Lovro Majer. À cinq ans, il débute la discipline à l’académie Suker, du nom du célèbre buteur croate. Il n’y passe qu’une année avant d’intégrer le prestigieux Dinamo Zagreb. Déjà, à l’époque, il porte le numéro 10 sur le dos. Pourtant les choses ne se passent pas comme prévu et à douze ans, il se désintéresse du foot. « Il a commencé à jouer au handball, s’amuse Antonija. Je lui ai dit que c’était ok. Et puis un coach, avec qui il avait travaillé en privé, a pris un club à Dubrava (à une vingtaine de minutes à l’Est de Zagreb). Il a appelé pour savoir si Lovro voulait y aller. Avec cet homme, il a recommencé à jouer au football. »
L’histoire raconte aussi que Lovro, enfant, a tenté d’aider sa mère à arrêter de fumer par ce biais. « On revenait de la mer, et il me dit : « Je vais rejouer au football si tu arrêtes de fumer ». Je lui dis que je vais arrêter, sourit-elle. Mais je continue à fumer quand il n’est pas là. Après un mois, je lui dis : « Lovro, je ne peux pas arrêter. Tu dois choisir ». Et il a choisi de rejouer au foot malgré tout ». Bien lui en a pris, puisqu’après une année à Dubrava, il se rapproche de son domicile en signant au NK Trnje, club du centre de Zagreb. Lovro a treize ans et l’on commence à parler de lui, ce gaucher magnifique, dans le petit monde du football croate.
Božidar Šikić, président du Lokomotiva, le deuxième plus gros club de Zagreb, cherche alors à le recruter. « Lovro, au même titre que Mateo Kovacic, ce sont mes enfants ! Ce sont mes préférés », s’amuse-t-il dans son grand bureau au style épuré, en plein cœur du centre d’entraînement du Lokomotiva. Nous sommes au sud de la rivière Save, qui sépare Zagreb en deux, près de l’hippodrome. Les trois terrains d’entraînement du club n’ont rien de grandiloquent. L’herbe vire au jaune, mais la vue sur les montagnes en arrière-plan est magnifique, malgré trois immeubles au style douteux au loin.
« Ça arrive qu’un jeune joueur ne soit pas gardé par un club comme le Dinamo, glisse-t-il par rapport au parcours de Majer. Il y avait sans doute des raisons à l’époque, des joueurs plus forts ou plus talentueux. Quand il est arrivé chez nous, il a eu des problèmes de santé. Pendant plusieurs mois, il n’a pas joué. Mais j’avais vu en lui un joueur très talentueux, c’est pour cela que j’ai fait tout mon possible pour m’assurer qu’il retrouverait sa santé pour jouer au Lokomotiva. » Une fois encore, il porte le numéro 10.
-« Sur le terrain, il voit ce que beaucoup de monde ne voit pas »
Au Lokomotiva, tous sont convaincus de son talent. Dès 18 ans, il intègre l’équipe première. « Je me souviens de ses premiers pas. Il était un jeune joueur très talentueux, mais il lui manquait de l’impact physique. Il était en pleine croissance et il avait des problèmes physiques liés à cela. On connaissait tous son talent, mais il avait besoin d’aide pour passer d’un jeune homme à un homme », glisse Igor Cvetikovic, ancien joueur, aujourd’hui directeur technique du Lokomotiva. À l’époque, il a les cheveux courts. Les cheveux longs et son bandeau, en passe de devenir iconique à Rennes, ne viendront que plus tard, au Dinamo, pour des raisons pratiques, avec la caution de sa maman.
La première saison, en 2016-2017, il délivre onze passes décisives en vingt-trois matches. Mais il traverse des moments de doute, car sa vie est désormais tournée autour du ballon rond. Comme son père Egon avant lui, qui a été un champion de taekwondo, Lovro Majer veut devenir footballeur de très haut niveau. « À table, il avait toujours un ballon au pied », glisse Antonija. « Il a eu quelques problèmes de confiance en lui, parfois, retient Denis Gudasic, directeur exécutif du Lokomotiva. Il m’arrivait de discuter avec lui sur le parking, autour d’un café après l’entraînement, quand il a commencé à jouer avec l’équipe senior. Il fallait l’aider à garder confiance, lui dire qu’on avait confiance en lui, qu’il fallait être patient. Tous les coachs ne l’ont pas traité de la même manière. »
Pourtant, tous sont unanimes sur sa qualité technique et sa vision du jeu. « C’est un vrai footballeur. Ça se voit, appuie Božidar Šikić. Lovro, sur le terrain, il voit ce que beaucoup de monde ne voit pas. Sa vision est différente des autres. » « Sa technique est parfaite et sa détermination à réussir est incroyable. On pouvait voir dès tout petit qu’il avait le potentiel pour faire carrière dans le foot », souligne Silvijo Cabraja, aujourd’hui entraîneur du Lokomotiva, qui était à la formation lors de la période Majer au club.
Après deux saisons réussies (18 buts et 16 passes en 62 matches), il est temps pour Lovro de prendre son envol et de retourner au club de ses débuts, le Dinamo Zagreb. Pour autant, il n’en oublie pas le Lokomotiva. À Noël dernier, de retour à Zagreb pendant la trêve hivernale, c’est là-bas qu’il décide de s’entretenir. « Cet hiver, il est venu dire bonjour à tout le monde, il trouve toujours du temps pour venir nous voir, sourit Igor Cvetkovic. Vers le 27-28 décembre, il m’a demandé si je pouvais lui ouvrir les portes du centre d’entraînement, pour qu’il puisse venir le matin avec son coach personnel. Je l’ai fait avec grand plaisir. »
Poli, souriant, reconnaissant. Les adjectifs ne manquent pas pour définir Lovro Majer, qui n’était pas un jeune « comme les autres ». « Il ne sortait pas avec les jeunes de son âge, il faisait attention à son sommeil, sa nourriture. Il était concentré sur le football, pas sur les filles ou autre chose (rires) », glisse Gudasic. « Si vous voulez rendre Lovro fou, vous devez le pousser très loin pour qu’il craque, prolonge sa maman. Il est très patient. » Le jeune Lovro est notamment passionné de jeux vidéo. Il participe à des tournois en ligne, de « Call of Duty 2 » notamment. « Mais ça, c’est terminé, il n’a plus le temps, rigole Antonija. Il n’y a qu’au Nouvel an cette année, quand nous étions chez lui, où j’ai regardé un film et lui a joué aux jeux vidéo ! »
-Le numéro 10 en fil rouge
Au Dinamo Zagreb, Lovro Majer porte une fois de plus le numéro 10, d’un commun accord avec le club. Il retrouve des infrastructures complètement différentes du Lokomotiva. Dans le grand complexe situé autour du stade Maksimir, qui accueille notamment l’équipe nationale, les terrains sont nombreux. Un hôtel pour les joueurs a même été construit sous une tribune. Il contient un bar, une salle de billard, de télé. C’est là qu’Alen Peternac, entraîneur adjoint du Dinamo et Arijan Ademi, capitaine et légende du club, nous reçoivent.
Ils ont connu le joueur à son arrivée, alors qu’il avait tout juste 20 ans. Ademi est rapidement devenu son partenaire de chambre. « Lovro était timide à son arrivée, mais c’est normal parce qu’il était jeune, il arrivait dans le plus gros club de Croatie. Plus le temps a passé, plus il s’est accommodé à l’équipe. Il lisait des livres tout le temps. Je lui disais : « c’est bon là, tu as assez lu (rires) ». Les jeunes ces temps-ci sont sur Instagram, Facebook... Lovro n’est pas comme ça, il est concentré sur comment s’améliorer. C’est une éponge. » Ses débuts ne sont pas idylliques au Dinamo. Il ne joue pas, car l’équipe tourne bien avec notamment Dani Olmo à son poste.
« Oui, je l’ai toujours vu lire des livres, sur comment prendre soin de soi, comment progresser. Il travaillait sur lui-même sur le terrain, mais aussi en dehors. Il me passait des livres. Après l’entraînement, il n’était pas du genre à rentrer directement. S’il avait vu quelque chose qui n’était pas bon, il demandait toujours ce que c’était et comment progresser, retrace Alen Peternac. Il voulait avoir un retour du coach. Il avait toujours une question, toujours (rires) ! »
Il poursuit, très heureux de parler de Majer. « Au début, il était très timide, limite « associable ». Il n’était pas dans l’équipe, l’entraîneur ne comptait pas sur lui. Quand le coach Zoran Mamic est arrivé, il a donné de l’amour à Lovro, lui a montré qu’il savait ce qu’il pouvait faire. Lovro a immédiatement tiré profit de cette situation. Et quand les choses ont changé pour lui, qu’il était une star de l’équipe, il est resté le garçon normal qu’il était en arrivant. Et il n’a jamais cessé de travailler, il travaillait peut-être même plus encore. » Pour un enfant de Zagreb, porter le numéro 10 au Dinamo est la reconnaissance ultime. « Tous les grands joueurs du Dinamo ont porté le numéro 10 », lance avec émotion Antonija.
L’été dernier, il est transféré à Rennes pour 12 M€, où il porte désormais le numéro 21. S’ensuit une blessure à la hanche en début de saison, puis la révélation, l’enflammade après des prestations XXL, des rumeurs l’envoyant dans les plus grands clubs européens… Lovro Majer, lui, n’a pas changé. « Je n’ai jamais accepté ce qui n’était pas normal, parce que nous sommes des gens normaux, des gens qui travaillent, confie sa maman. On ne vit pas pour l’image, on vit pour notre famille. » Désormais, pour faire rêver les fans de foot également.